Alors non je ne suis pas juriste … mais je suis fondamentalement attachée au droit, aux droits des personnes en situation de handicap et en particulier à celui de l’accès à la communication posé dans le droit français par l’article 2 de l’annexe au décret n° 2010-356 du 1er avril 2010 portant publication de la convention relative aux droits des personnes handicapées (ensemble un protocole facultatif), signée à New York le 30 mars 2007 (1).
Je suis également attachée à l'égalité de droits, et par là même au respect des droits individuels. Le droit à l'image en fait partie. Il est défini comme un droit civil par les articles 7 et suivants du code civil, précisés par l'article 226-1 du code pénal. La révision de cet article suite à la publication de la loi 2024- 247 du 21 Mars 2024 a entraîné un changement dans le traitement de cette question par les personnes morales chargées d 'une mission de service public . En effet, contrairement à la version précédente du texte, être chargé d'une mission de service public constitue désormais un caractère aggravant les sanctions. En conséquence directe, nombre d’établissements (quelle que soit leur nature) ont décidé à titre préventif de ne plus diffuser de photos, garantissant ainsi le droit à l'image de toutes les personnes, qu'elles soient bénéficiaires de l'accueil ou qu'elles y contribuent . Mais, ce faisant, elles privent les personnes utilisant des photos d'un moyen de communication essentiel pour elles. Alors dilemme ! Comment concilier les droits de chacun qui semblent opposés ?
La communication alternative améliorée regroupe tous les dispositifs qui permettent de parler «de tout, n’importe quand et à n’importe qui » selon les mots de Gayle Porter .
Parler de tout, c’est également parler des personnes qui nous accompagnent, que l’on connaît. Se pose alors la question de la représentation des personnes dans les outils de communication.
Traditionnellement, le support photo était privilégié. Cependant, de plus en plus et avec en particulier l’essor des réseaux sociaux et de l'intelligence artificielle qui simplifie le détournement des images à des fins parfois, souvent, illégales, les personnes s’opposent à la prise de vue ou à l’utilisation de ces photos, y compris lorsque l’objectif est simple de faciliter, rendre possible, la communication d’un tiers. Se pose donc la question du droit à l’image, qui permet à chacun (ou à son représentant légal) de décider si il accepte d’être pris en photo et que cette photo soit diffusée, vient entraver le droit à la communication des personnes ayant besoin de supports papier ou numériques pour communiquer.
Le droit à l’image nous concerne tous, pairs, professionnels, famille, amis, relations. Aussi il est essentiel de trouver une solution acceptable.
La lecture de l’article de Gayle Porter & Linda Burkhart sur les limites de l’utilisation d’une approche hiérarchique de la représentation dans l'apprentissage du langage (2010) donne des arguments en faveur de l’utilisation des pictogrammes vs celle des photos.
La diffusion massive d’outils permettant de se représenter sous la forme d’avatar donne la possibilité à quiconque en raison de la gratuité de nombre de ces logiciels de se représenter et de se faire représenter sous forme d’avatar afin de figurer dans les outils de communication individuels sous la forme papier ou numérique. Elle permet aussi de faire des trombinoscopes destinés à l’affichage ou à enrichir les outils de communication.
La création de ces avatar revêt en outre un caractère pédagogique particulièrement intéressant pour l’apprentissage du langage. A l’instar de la langue des signes dans laquelle les personnes sont désignées par une caractéristique les rendant uniques, la création de l’avatar permet de travailler avec chacun quelles que soient les difficultés les éléments qui semblent importants pour se décrire.
Un travail indispensable à la connaissance de soi et à l’expression peut ainsi être réalisé.
De la même manière, l’ajout du prénom de la personne soutient une entrée dans le monde de l’écrit ainsi que cela est fait dès les premières classes de maternelle pour l’accrochage des blousons par exemple. Le lien affectif venant ici soutenir l'entrée sans la littératie.
En outre et cela me semble particulièrement important, l’utilisation de l’avatar simplifie également l’ajout de toute personne intervenant ponctuellement puisqu'il n'est plus indispensable d'avoir une photo à retravailler pour l'ajouter sur les dispositifs de communication. De plus, l’avatar utilisé tant pour représenter les personnes accueillies que celles travaillant dans les établissements permet de réduire les différences représentationnelles. La tenue, le décor, nombre de détails insignifiants à première vue induisent la sensation de deux mondes différents. L’utilisation d’avatar qui de prime abord semble déshumanisante au contraire vient poser l’unité en rappelant les points communs plus que les différences.
Cependant, si les outils linguistiquement robustes sont indispensables à la personne en ayant besoin pour permettre une expression satisfaisante, la communication est et doit être multimodale. En ce sens, il est indispensable de penser également aux autres outils qui permettent de parler de soi, de parler de ses souvenirs et qui par essence comportent des photos : les cahiers de vie.
Le cahier de vie, dont l'une des fonctions est de permettre à la personne de se raconter et l'autre de se souvenir contient des photos des légendes courtes permettant de contextualiser la prise de vue et tout autre choses permettant de faciliter l'amorce mnésique du souvenir. C'est en racontant ses souvenirs, en les mettant en mots, que les souvenirs s'ancrent. le récit facilite la trace neuronale garante de la mémoire. Lionel Naccache , dans le cinéma intérieur (p183) rappelle l'importance de la mémoire épisodique qui " constitue l'assise de notre identité subjective ".
Sylvie Chokron, dans le cerveau d'Anna, page 133 et suivantes , rappelle l'importance la sensorialité , en particulier de l'olfaction pour faciliter l'amorce mnésique pour chacun, y compris lorsque les facultés mnésiques sont altérées par des pathologies comme la maladie d'Alzheimer.
Les cahiers de vie sont donc autant des outils de conservation de mémoire autobiographique que des éléments permettant d'avoir accès à cette mémoire autobiographique et de la mettre en mots. Si l'importance des cahiers de vie pour toute personne rencontrant des défis de communication ne semble plus devoir être démontrée, la question est simple: Comment concilier le droit à l'image et le droit à communiquer dans le cadre des cahiers de vie ?
Cette question sera essentielle pour toutes les structures qui accueillent de manière temporaire ou pas des personnes entravées par une communication orale dysfonctionnelle. Il peut s'agir de centre acre, d'école, d'établissements spécialisés.
Deux cas de figure se présentent dès lors :
- la personne représentée sur la photo a donné son aval pour que son image puisse être diffusée au (x) bénéficiaire (s) du cahier de vie et dans ce cas, la personne morale ayant délégation de service public n’a aucune raison de ne pas permettent l'exploitation de la photo dans le cadre du cahier de vie.
- soit la personne s'oppose, directement ou par son représentant légal et, dans ce cas peut on priver la personne dont la communication n'est pas fonctionnelle d'un outil auquel elle a droit selon les dispositions réglementaires?
Dans les établissements, le recueil du consentement au droit à l'image est formulé par écrit. Généralement, il est formulé sous la forme d’une question unique. Par mesure de précaution, nombre de responsables légaux refusent la diffusion des photos d’eux mêmes ou des personnes dont ils sont responsables alors que c'est seulement l’utilisation dans certains cadres et/ou la diffusion sur certains canaux qui peuvent poser problème. Ainsi, je peux m'opposer à la diffusion de ma photo sur les réseaux sociaux ou sur des supports de type publicitaire mais accepter la diffusion de cette dernière pour des supports destinés à un usage personnel. Définir un cadre sécure permet le respect des droits de chacun. Les personnes ayant besoin de leurs cahiers de vie sont également informées, que les photos reçues ne peuvent être utilisées que dans un contexte familial.
Mener cette réflexion de concert avec les représentants des familles et des usagers dans les ESMS et les parents d'élèves dans les écoles pourrait contribuer à sécuriser ce cadre, la collaboration permettant d'entendre les droits et les besoins de chacun.
Aussi, dans ce cadre là, une solution certes un peu plus fastidieuse d’un point de vue administratif, peut permettre d’éviter de priver nombre de personnes de ce support photo indispensable pour elles.
Si en dépit de telles restrictions de diffusion certaines personnes posaient un veto à l'utilisation et à la diffusion de leur photo à ces fins , la technologie permet de venir soit flouter le visage des personnes concernées, soit venir poser en sur impression le picto créé pour cette personne. si un cadre légal sécure relatif au respect de l'image de chacun et de sa diffusion est posé, il y a fort à parier que les refus soient peu nombreux , réduisant ainsi le temps de traitement des images .
Si ces solutions peuvent sembler à priori chronophages, elles sont le garant du respect des droits fondamentaux de chacun et du droit à la communication de ceux qui ont besoin dispositifs spécifiques et permettent de contribuer à un climat sécure tant pour les personnes qui pourront se raconter et se souvenir que pour les familles et les professionnels.
Alors je ne suis toujours pas juriste, mais peut on encore se cacher derrière le droit à l'image pour priver les personnes en situation de handicap de communication des photos qui leur sont indispensables, sans risquer de de se voir opposer le droit à la communication, alors qu'une instruction nationale rappelle aujourd'hui encore aux ESMS l'obligation d'accompagner la communication et de renforcer la présence d'outils de CAA ( comité interministériel du handicap 2025)?
Définitivement, la réponse pour moi est NON. Il n’est pas acceptable de priver une personne de ses outils de communication, y compris lorsque ces derniers sont évolutifs et contiennent obligatoirement des photos de personnes. Une gestion administrative plus fine associée si nécessaire à un temps de traitement de l’image permet de respecter les droits de chacun, garantissant un climat sécure pour chacune des parties, qu’il s’agisse des personnes concernées par l’accueil, de leurs familles ou des professionnels. La relation de confiance ainsi consolidée permet une dynamique d’échange dont chacun, quelle que soit sa place de la personne accueillie au professionnel en passant par les familles et les équipes de direction, bénéficiera.
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