D'objet de soin à sujet de droit... quand thème du mois de la CAA s'invite dans ton quotidien
- Marilyn

- 15 oct.
- 4 min de lecture
( J'ai écrit cet article dimanche 12 octobre et donc avant le colloque sur l'auto détermination. qui s'annonce pour moi passionnant parce que je n'ai pas encore eu le temps de l'écouter!)
Je vais vous raconter deux anecdotes. Elles se passent à une semaine d’écart.
Vendredi 3 octobre 2025, nous sommes devant la bibliothèque interuniversitaire à Toulouse. Hugo est en proie à une crise de panique. Il ne maitrise plus ses mouvements.
Jeudi 9 octobre 2025, nous sommes à l’Exposition Bansky modeste collection, Hugo est touché en plein coeur par l’oeuvre de Bansky réunie. Il a le même comportement que le vendredi précédent.
Le vendredi, alors que nous attendions sous le porche avec sa tutrice que Hugo reprenne ses moyens pour pouvoir prendre la voiture, une dame, du service de soutien aux étudiants en situation de handicap est venue nous demander si nous avions besoin d’accéder à une salle fermée de retour au calme prévue pour le repos des étudiants en situation de handicap, non pour l’isoler de l’espace public mais pour faciliter son accès au dispositif de droit commun, l’université. Lorsque je lui ai exposé le projet, elle m’a donné son mail pour la contacter si j’avais besoin en précisant que le statut de Hugo en auditeur libre ne lui ouvrait pas les portes de son service. En résumé, ce qu’elle faisait elle le faisait à titre exceptionnel car elle voyait un étudiant en difficulté ponctuelle.
Le jeudi suivant nous avons rencontré une dame tout aussi serviable mais qui dès sa première phrase s’est posée en tant qu’éducatrice spécialisée. Sa posture a été tout autre. Forte de son expérience professionnelle, elle a commencé à me demander si le comportement d’Hugo était exceptionnel, pourquoi il grognait, pourquoi il me tirait les cheveux... bref pourquoi il était “en colère” et en me disant immédiatement pour justifier le caractère intrusif de ses questions qu’elle était “éducatrice spécialisée”. Hugo s’est ressaisi en entendant ces mots. Il a saisi ses lettres et a écrit “donne lui ma carte” (j’ai toujours des cartes de visite dans mon sac à main. Je refuse de donner la carte et lui propose de le faire lui même.
Apres une plongée en apnée dans mon sac à main... je donne une carte de visite à Hugo qui prend son courage à deux mains et le donne à la dame. Elle s’est sentie toute désemparée et a voulu offrir la rose qu’elle tenait dans les mains à Hugo qui lui a refusé le don et lui a demandé de “lire plutôt ses poèmes” . Le ton de la voix de la dame a changé. Elle ne s’adressait plus à une personne qui ne comprenait rien à ce qui se passait mais à un adulte. Elle parlait à Hugo comme à moi.
Si je prends le temps de raconter ces deux tranches de vies, c’est parce qu’ils m’ont permis de comprendre ce que je lis dans l’histoire des luttes.
A la suite de notre passage à l’expo Bansky Modeste collection (qui circule dans toute la France) Hugo a écrit un poème lettre à Bansky . Il est désormais accroché sur la porte, en sortant l’exposition. Lors de cet accrochage j’ai échangé avec un des membres de l’organisation et nous avons parlé convergence des luttes et intersectionnalité, la faiblesse de la représentation des personnes en situation de handicap et en particulier de handicap de communication lui a sauté aux yeux alors qu’il n’en avait pas conscience avant de lire le texte de Hugo.
cela pourrait être anecdotique si on ne replaçait pas cela dans l’histoire des luttes pour les droits humains, qu’il s’agisse des droits civiques ou de ceux de toute autre minorité.
Ainsi, depuis quelques années on commence à voir des recherches sur le handicap réalisées par les personnes en situation de handicap elles mêmes, les diseability studies. Dans son livre, Charlotte Puisieux (Charlotte Puisieux, de chair et de fer, vivre et lutter dans la société validiste, la découverte 2022) pose des questions extrêmement intéressantes sur les points de vue de chacun sur les questions du handicap et des représentations. Elle démontre, s’il était nécessaire de le démontrer que chacun à un intéret différent sur la question. Les parents (étant maman, je parle de mon point vue ) n’ont pas les mêmes besoins que les chercheurs, des soignants et les personnes directement concernées. Elle pose même page 72 la question : “l’objectivité scientifique existe t elle vraiment? ne parle t on pas toujours d’un point de vue situé comme l’a soutenu Donna Haraway, y compris lorsqu’on l’on est un homme blanc cis valide hétérosexuel... ? A mon sens il s’agit moins dans ce débat scientifique de définir ce qu’est véritablement l’objectivité de la recherche que d’imposer des rapports de pouvoirs au sein desquels certaines forces cherchent à discréditer les discours minoritaires et à mettre en avant la parole de ces fameux homes blancs cis valides hétéro, parole qui devient alors synonyme d’objectivité”.
Il y a une dizaine d’années un ami me faisait remarquer le mot pour nourrir sa fille par gastrostomie était le même (gaver/ gavage) que celui qu’il utilisait dans son travail, il travaillait chez un grand fabriquant de nourriture animale. Sa réflexion me revient souvent et montre comment utiliser un terme technique peut être dénigrant pour la personne concernée et la réduire à un objet de soins. Sa réflexion montrait tant la déshumanisation de la personne que la nécessité des soignants d’avoir des mots techniques pour décrire un acte. Si dans la vie quotidienne, les personnes autour de moi n’utilisent plus ce mot, il en est d’autres qui influencent encore la perception que l’on a d’autrui, projetant préjugés sur la personne à laquelle on l’assigne. Il en va de tous les diagnostics utilisés comme insultes mais aussi de la manière dont on décrit l’Autre, la personne que nous accompagnons, mettant en avant tel ou tel trait de son caractère ou de ses difficultés. Que renvoie le mot que nous utilisons à la personne dont nous parlons? Dans quelle mesure cela construit sa personnalité, avec la récurrence de l’emploi de cette caractéristique? Dans quelle mesure cela modifie la perception que nous nous faisons de la personne? Dans quelle mesure cela vient renforcer ou infirmer d’autres préjugés induits par tel autre différence visible (intersectionnalité)?
“A mal nommer les objets on ajoute du malheur au monde” disait Camus. il convient désormais de s’interroger sur les conséquences de mal définir les personnes.



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