Voila une des phrases préférées de Hugo ! J’avais un élève qui lui régulièrement du haut de son mètre quatre-vingt cinq me répétait régulièrement « mais ce n’est pas logique ! » . Bref, tous deux m’ont appris que la logique joue un rôle essentiel dans les apprentissages ! Et autant l’un que l’autre furent de bons profs. J’ai appris en particulier avec cet élève que lorsqu’un raisonnement n’était pas logique pour lui et qu’il ne parvenait à en percer le secret, il pouvait chercher ce qui clochait jusqu’à s’effondrer de fatigue, au sens premier du terme. J’ai compris qu’il ne pouvait pas spontanément adhérer à ma logique. Il fallait qu’il m’explique la sienne et que l’on puisse décortiquer ensemble son raisonnement et ajouter avec son accord l’élément qui expliquait le syllogisme. Les échanges avec cet élève m’ont beaucoup appris et m’ont permis de mettre en perspective mon quotidien avec Hugo. En effet, autant l’un est prompt à exposer son avis et son raisonnement autant Hugo ne répondra qu’à des questions précises. Avec Hugo, c’est un peu plus compliqué de trouver le point de rupture de la logique mais à chaque fois cela nous permet de débloquer la difficulté rencontrée qui le plus souvent se traduit par une rigidité de raisonnement et de comportement. Et très régulièrement je me rends compte que nos logiques diffèrent. Ce n’est pas pour autant qu’il est facile de trouver le point de divergence de nos raisonnements et démêler le nœud ! A l’occasion d’un tri dans mes dossiers, j’ai relu les documents rédigés au cours des dix années d’instruction en famille. Dans ces documents, de valeur inégale, destinés aux inspecteurs et conseillers pédagogiques, j’exposais sur les conseils d’un inspecteur le travail réalisé entre deux visites à l’attention des conseillers pédagogiques et inspecteurs. J’ai un peu l’impression de remettre des fringues vintage, vous savez, cette impression étrange de neuf et de déjà connu lorsque j’ai pris conscience de tout le travail autour de la logique mené pendant toutes ces années. Je pense que je la dois à la lecture du livre l’Empereur c’est moi ! de Hugo Honriot qui m’a incité à expliquer et à mettre des mots sur toutes les questions que je pouvais imaginer que mon fils pouvait se poser. Ainsi, j’ai expliqué le système d’évacuation des eaux usées de la maison et certainement d’autres choses dont je ne me souviens pas ! A l’époque, je me souviens bien, ma préoccupation principale tournait autour de la mémorisation et pas de la logique. A écouter les médecins et leur fameux tableau clinique, apprendre serait compliqué pour Hugo. Pour moi, la mémorisation était à l’époque le point central de l’apprentissage. J’ai depuis un peu revu ma copie, mais cette intuition m’a permis de lire et relire les travaux de Serge Nicolas[1] sur la mémoire et de comprendre l’intérêt d’exploiter les différents canaux afin de faciliter la restitution et le réemploi de l’information retenue. La direction était donnée…elle fut confirmée par la lecture d’un billet de blog d’une enseignante spécialisée et du livre de Régine Zekri Hurstel cité dans ce billet[2]. Il était indispensable d’associer la sensorialité et les apprentissages pour aider à la mémorisation. L’évidence était là ! ça faisait des années que j’avais remarqué des particularités sensorielles chez Hugo. On avait ainsi bricolé un espace sensoriellement contrôlable, enfin toutes proportions gardées puisqu’on parlait bricolage ! On s’était inspiré de la salle Snoezelen que Hugo fréquentait au sein d’un établissement spécialisé en accueil précoce. En effet, les éducatrices, bien que formées s’écartaient du principe de base et exploitaient cette salle pour permettre à Hugo de se concentrer sur tel ou tel apprentissage : Se mettre debout, fixer une lumière et je ne me souviens plus très bien…C’était il y a presque quinze ans ! Il n’empêche…ce dont je me souviens bien, c’est que les séances étaient drôlement plus efficaces et tellement plus agréables dans cette ambiance ! Nous avions donc reproduit un modèle réduit de cette salle en combinant boites d’épices et guirlandes de Noel disposés autour d’une colonne à bulles dans une pièce avec des rideaux obturants. Hugo adorait cet endroit. C’était son refuge. Aussi on y passait de nombreuses heures et pendant un temps c’était sans que je m’en rende compte une réelle salle d’apprentissage alors qu’elle devait initialement servir à la détente. Mais je vous dois une confidence, je crois que le mot détente est absent de mon dictionnaire intérieur. Parmi les gadgets de cette salle sensorielle, j’avais trouvé dans une enseigne à bas prix des glaçons lumineux. Initialement utilisés pour travailler la préhension, ces glaçons n’ont jamais trouvé le chemin des verres apéro ! En revanche, ils ont largement servi pour les séances d’orthoptie. Ils furent un réel atout aussi pour apprendre à compter. Je vous laisse imaginer : une quasi pénombre et seulement des taches de lumière bleu ou rouge ou verte. Elles sont faciles à dénombrer : on ne voit qu’elles. On peut les toucher, les manipuler, faire changer les couleurs de certaines. On peut commencer à travailler la logique ! Tout d’abord avec les suites, il suffisait d’alterner un cube bleu et un rouge et de recommencer la suite. Pour les additions, c’était simple aussi, il fallait compter en trois fois , d’abord une couleur, puis l’autre et le total. Et surtout on écrivait avec un feutre véléda sur notre table lumineuse pour conserver notre ambiance et nos découvertes ! Un peu plus compliqué mais dans la même logique que les additions, on a pu manipuler les compléments à 10 juste en jouant avec dix de nos cubes allumés avec des couleurs différentes… c’était nos ateliers mathémagiques … Bref les bases des mathématiques étaient posées et des souvenirs magiques de ces moments, le plaisir du temps partagé des trésors d’apprentissages qui jaillissaient! Il faut dire que jamais au grand jamais je n’ai préparé ces séances, on a juste profité de l’instant, de la sérénité de l’espace pour découvrir ensemble ces concepts abstraits par nos yeux, nos mains, brefs nos récepteurs sensoriels. Ce n’est que bien des années plus tard, il n’y a d’ailleurs pas très longtemps en relisant, pour préparer une intervention sur les apprentissages, le livre d’Olga Bogdashina[3] que j’ai pris conscience de l’importance de ces jeux pour construire les bases de la logique mathématique avec Hugo. Alors, certes ce travail d’Olga Bogdashina est "un peu ancien" puisqu’il fait référence au syndrome d’Asperger et à ses particularités, mais il m’a fait établir un lien entre l’information sensorielle et l’apprentissage. J’ai ainsi compris que de travailler les concepts avec des objets sensoriels avait été essentiel pour Hugo. Il a ainsi pu focaliser son attention sur des stimuli choisis, les autres ayant pu être occultés soit par le contexte de la pièce, soit par un intérêt moindre de sa part. Les objets lumineux présentaient à l’époque un attrait incomparable. De l’inspiration Snozelen initiale, j’avais conservé l’idée de faire sans rien attendre, philosophie qui sous-tend, encore aujourd’hui, ma manière d’être auprès de Hugo . Aussi, seules les « ondes positives » des émotions venaient perturber ces moments de découverte et de construction de la logique et des savoirs. Dans cette bulle sensorielle, Hugo a découvert le plaisir de découvrir et d’apprendre en laissant ses sensations forger sa logique, apprenant les relations de causes à effets en manipulant une télécommande. Dans cet espace, les stimulations étaient contrôlables, il était donc possible de mettre le focus uniquement sur le sujet souhaité, de créer des situations de « diète sensorielle » qui ont permis d’apprendre à Hugo à apprendre à saisir l'information sensorielle sur laquelle se centrer pour construire son apprentissage, à utiliser ses informations sensorielles perçues, à les intégrer et à poser son attention le temps nécessaire. Bref on pourrait presque dire que ces moments lui ont permis à apprendre à apprendre. D’ailleurs il y a un truc qui me chiffonne depuis que le début de ce post. C’est que je prend conscience, que notre bricolage était centré sur des stimuli sonores, visuels, tactiles, olfactifs, parfois gustatifs. Les sens les plus facilement accessibles pour le commun des mortels. Certains faisaient défaut il y à quinze ans… et à la lecture du livre d’Isabelle Babington, mon petit doigt me dit que l’on pourrait certainement découvrir de bien belles choses pour Hugo, car on ressent encore le manque de travail sur la proprioception aujourd’hui. Bref … voila c’est dit nous faut réinvestir dans le sensoriel avec Hugo … car on a encore des tas de compétences à pouvoir développer… et puis c’est si agréable de passer une heure dans un tel environnement! [1] Serge Nicolas, la mémoire humaine, une perspective fonctionnaliste ; L’harmattan, 2000 [2] Ce billet citait le livre de Régine Zekri Hurstel, l’alphabet des cinq sens, Robert Laffont, 2006 [3]Olga Bogdashina, Questions de perception sensorielle dans l'autisme et le syndrome d'asperger, Autisme France 2020
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